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20 octobre 2018

L'âge de nylon

"- Alors, dit-il, si je perdais mes cheveux ou si je prenais du ventre... ou s'il m'arrivait un accident, ou si, simplement, il y avait la guerre et que je rentre défiguré ?...
- Toi... Martine s'écarta un peu de lui. Toi, tu es le commencement et la fin. Toi, tu pourrais te rouler dans l'ordure... Je te laverais."

"- So, if I lost my hair, or if my belly grewed... or if I had an accident, or if, simply, war happened, and I came back face-scared?..
- You... Martine slightly moved away from him. You're the beginning and the end. You, You could roll in the dirt... I would wash you."

Roses à crédit, Elsa Triolet

20 septembre 2018

Trouvaille

J'ai trouvé ce roman à deux sous dans une malle au grenier :

Elle passe les bras autour de son cou, lui offre sa petite tête dure et frisée.
Il l’embrasse doucement, longuement, découvrant et savourant le merveilleux de ce baiser, sans hâte et sans angoisse, totalement consenti, qu’il goûte et qu’il déguste dans tous ses raffinements.
Il l’a par la taille, renversée sur lui... Il lui embrasse les épaules, le torse, la taille, la hanche.
Il l’a soulevée dans ses bras, et il l’emporte tout près de là, juste dans un rayon de soleil.

La mariée était trop vierge, Yves le Men

I found this cheap novel in a trunk in the attic:

She puts her arms around his neck, offers her hard and curly head.
He kisses her softly, lengthily, discovering and enjoying this marvelous kiss, without any hurry nor anguish, totally given, he savours and tastes in all its fineness.
He has turned her on him by her waist... He kisses her shoulders, chest, waist, hip. He has lifted her in his arms and he takes her, near, just in a sunray.

28 mai 2018

R.I.P.

Ses cases ont empli ma bibliothèque. J'ai couru après ses BD sur les marchés aux puces, les brocantes, les vide-grenier, chez les libraires d'occasion quand j'étais étudiante (et fauchée). J'ai adoré son univers psychédélique et déjanté dans le Vagabond des Limbes.
Merci, M. Ribera


His strips filled my bookcase. I purchased his comic strips on flea markets, second-hand trades and bookstores, yard sales, when I was a student (and penniless). I loved his psychedelic and mad world in the Vagabond of Limbo.
Thanks, M. Ribera.

18 mai 2018

Double dose 2/2 Twice the dose 2/2

Notre quête de plaisir est fragile, elle ne repose que sur nous et la bonne disposition de nos cerveaux. Nos corps se mettent en mouvement plus tard. Rien n'est mécanique, contrairement à ce que pourraient croire des voyeurs novices. Cette recherche de danger, cette certitude que demain, tout sera fini, cette permanente transgression des codes amoureux sont électrisantes.
D'interdits, avec elle, je n'en vois pas.
Certaines nuits, je baiserais un arbre. En pensant à toi.

Our quest in pleasure is fragile, it relies only on us and on the fair tendency in our brains. Our bodies set in motion later. There's nothing mechanical, contrary to what new voyeurs might think. This search of danger, the certainty tomorrow it'll end, this constant transgression of love codes are electrifying.
I see nothing forbidden with her.
Some nights, I could fuck a tree. Thinking of you.*

Denis Robert, Le Bonheur

* As usual, translation is my work.

17 mai 2018

Double dose 1/2 Twice the dose 1/2

Exister dans tes mots et par tes caresses. Mon corps m'échappe. Je me rends totalement et sans réserve à ta volonté.
La don de ma personne est une monnaie d'échange. C'est un juste retour des choses.


Becoming alive by your words and you caress. My body escapes me. I surrender, totally and thoroughly, to your will.
My own person is being used for bartering. What goes around comes around.

Denis Robert, Le Bonheur

12 mai 2018

Le dieu des corps

Ces deux seins accomplis, je les admirais comme un passant qui débouche sur une place de Venise admire soudain une coupole, je m’en émerveillais comme un mathématicien d’une représentation graphique inespérée. Quand mon extase risquait de devenir trop intellectuelle, leur pointe, rose et brunâtre, couleur de jeune pousse, légèrement froissée et tordue, dardait vers moi une provocation plus animale, faisait allusion aux jouissances qui nous fouillent le plus loin, aux écrasements les plus aveugles de la chair par la chair. Et je sentais alors affluer dans ma bouche de nouveaux baisers, se ramasser pour une nouvelle dépense de caresses, ma langue, ma salive.

These two full breasts, I admired like someone coming along a place in Venice admires a dome, I felt strucked like a mathematician by a unexpected graphism. When my rapture was about to become too much mental, their pink and brown point, the color of a early shoot, slightly creased and warped, poke a more animal provocation, hinting ectasies that dig the deepest, blindest crushings of flesh on flesh. And I felt my mouth filling with kisses, with a new expense of caress, my tongue, my saliva.*


Le Dieu des corps, Jules Romains

* I did the translation myself.

14 novembre 2017

Une fille amoureuse/A girl in love

Si l'on peut croire, comme le croient des centaines de millions d'hommes, que nous vivons plusieurs vies, pourquoi ne pas croire aussi que dans chacune de nos vies nous sommes le lieu de rencontre de plusieurs âmes ? Qui suis-je, enfin, dit Pauline Réage, sinon la part silencieuse de quelqu'un, la part nocturne et secrète, qui ne s'est jamais trahie par un acte, par un geste, ni même par un mot, mais communique par des souterrains de l'imaginaire, avec des rêves aussi vieux que le monde ? D'où me venaient ces rêveries répétées et si lentes, juste avant le sommeil, toujours les mêmes, où l'amour le plus pur et le plus farouche autorisait toujours ou plutôt exigeait toujours le plus atroce abandon, où d'enfantines images de chaînes et de fouets ajoutaient à la contrainte les symboles de la contrainte, je n'en sais rien. Je sais seulement qu'elles m'étaient bénéfiques et me protégeaient mystérieusement _ à l'inverse des rêveries raisonnables qui tournaient autour de la vie diurne, tenaient de l'organiser, de l'apprivoiser. Je n'ai jamais su apprivoiser ma vie.

Une fille amoureuse, Pauline Réage
(Un fille amoureuse se situe entre Histoire d'O et Retour à Roissy)

If you are to believe, as hundreds of millions people believe it, that we live many lifes, why not believe also that in our lifes, we are the meeting point of many souls ? Who am I, says Pauline Réage, but the silent part, the nocturnal and secret part, which never betrayed itself with a act, a move, neither a word, but comunicates, by tunnels of imagination, with dreams as old as the world? Where come from these repeated and so slow daydreams, juste before sleep, all the same, where the purest and wildest love always allowed or, rather, always demanded the most terrible abandon, where childish pictures of chains and whips add symbols of restrain to the restrain, I don't know. All I know is they were good for me and protected me mysteriously _ unlike reveries around dayly life, trying to organize it, to tame it. I've never known how to tame my life.

4 novembre 2017

La mécanique des femmes

- Dis-moi un mensonge.
- Je t'aime.
- Salaud.

La Mécanique des Femmes, Louis Calaferte

- Tell me a lie.
- I love you.
- Bastard.

5 décembre 2014

Quote

L'admission de la femme à l'égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation ; elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain et ses chances de bonheur.

Rome, Naples et Florence (1817), Stendhal.

13 avril 2014

Passion lecture

Les vikings sont plutôt en verve, alors je vous inflige leurs bons mots. Ce qui ne m’empêche pas de vous citer mes lectures (billets de feignasse, oui, mais j’ai vraiment aimé).

J’écris moins que je lis (argh ! mon roman-à-publier !)

Je suis sortie avec une pile de bouquins, samedi, de la médiathèque. Je les ai presque tous lus. Alors j’en ai acheté d’autres. Mes enfants considèrent que la civilisation n’est pas en péril tant que j’achète plus de livres que de fringues ou de chaussures. 

11 avril 2014

- Est-ce que vous vous coiffez les sourcils, docteur Düsseldorf ? j'ai demandé.
Il a regardé autour de lui, très surpris, il avait l'air de demander à Mamie-Rose, à mes parents, s'il avait bien entendu. Il a fini par dire oui d'une voix étouffée.

- Faut pas tirer une tête pareille, docteur Düsseldorf. Ecoutez, je vais vous parler franchement, parce que moi, j'ai toujours été très correct sur le plan médicament et vous, vous avez été impeccable sur le plan maladie. Arrêtez les airs coupables. Ce n'est pas de votre faute si vous êtes obligé d'annoncer des mauvaises nouvelles aux gens, des maladies aux noms latins et des guérisons impossibles. Faut vous détendre. Vous décontracter. Vous n'êtes pas Dieu le Père. Ce n'est pas vous qui commandez à la la nature. Vous êtes juste réparateur. Faut lever le pied, docteur Düsseldorf, relâcher la pression et pas vous donner trop d'importance, sinon, vous n'allez pas pouvoir continuer ce métier longtemps. Regardez déjà la tête que vous avez.

Eric-Emmanuel Schmitt, Oscar et la dame rose

Pour Sophie, qui exerce ce beau métier pas loin de mon frère, et pour Baptiste, qui l'exerce et le raconte si bien.

23 novembre 2013

Soudain, elle se souvint comment, avec Henry, lors d’une traversée du désert persan, leur voiture avait été escortée par une nuée de papillons blancs et jaunes qui dansaient parmi eux, à l’avant du convoi, puis autour d’eux, s’envolant parfois dans un vaste mouvement d’ensemble, revenant vers eux pour les entourer à nouveau, semblant prendre plaisir à exprimer leur frivolité par cette voltige harmonieuse autour du pesant chariot, mais incapables pourtant d’accorder leur vol à cette lenteur, et qui, pour apaiser leur impatience, repartaient en voletant très haut dans le ciel ou plongeaient entre les essieux, se glissant sous les voitures, s’en échappant avec grâce à l’instant même où, lourdement, les chevaux allaient poser leurs sabots ; dessinant parfois de modestes taches d’ombre sur le sable, comme de petites ancres sombres, qui leur donnaient l’air d’être reliés soudain au sol par d’invisibles câbles, se laissant doucement entraîner avec la même légèreté capricieuse, semblant brusquement bercés par la progression monotone de la troupe, qui, face au soleil, avançait de l’aube au crépuscule, comme une charrue qui creuserait son sillon tout droit vers la lumière, un unique et profond sillon qui semblait contourner le monde dans sa totalité _ et elle se souvint alors avoir pensé que tout cela ressemblait à sa propre vie, que si Henry Holland était son soleil, le nuage de papillons représentait ses pensées les plus insolentes, ses rêves les plus fous, dansant dans la lumière sans jamais se poser ni pouvoir ralentir la progression du convoi ; ne touchant jamais le chariot de leurs ailes, voletant à perdre haleine, s’échappant, se lançant en avant, impertinents, envahissants, pour s’infiltrer à nouveau sous les essieux, illustrant toute une vie de liberté et de beauté, celle d’une bande de jeunes vagabonds insolents qui se contentaient d’effleurer la surface du désert et se pesants chariots. Mais Henry qui commandait la mission se contentait de commenter : « C’est terrible l’ophtalmie chez ces gens. Il faut faire quelque chose. » Et, sachant qu’il avait raison et que, dès leur arrivée, il en parlerait aux missionnaires, elle prenait soin d’oublier les papillons, et ne pensait plus qu’à son devoir. Dès qu’ils auraient atteint Yezd, Shiraz ou une autre ville, elle établirait des programmes avec les épouses des missionnaires et s’occuperait de faire venir de l’acide borique d’Angleterre.

Mais par quelle étrange perversion, le vol léger des papillons était-il toujours demeuré le plus important ?

Vita Sackville-West, Toute passion abolie

22 octobre 2013

Mais que m’a-t-il dit, ce vieillard ? rien de senti, rien d’attendri, rien de pleuré, rien d’arraché de l’âme, rien qui lui vint de son cœur pour aller au mien, rien qui fut de lui à moi. Au contraire, je ne sais quoi de vague, d’inaccentué, d’applicable à tout et à tous ; empathique où il eut été besoin de profondeur, plat où il eut fallu être simple ; une espèce de sermon sentimental et d’élégie théologique. Çà et là, une citation latine en latin ; Saint Augustin, saint Grégoire, que sais-je. Et puis, il avait l’air de réciter une leçon déjà vingt fois récitée, de repasser un thème, oblitéré dans sa mémoire à force d’être su. Pas un regard dans l’œil, pas un accent dans la voix, pas un geste dans les mains.
(…)
Qu’on m’aille donc, au lieu de cela, chercher quelque jeune vicaire, quelque vieux curé, au hasard, dans la première paroisse venue, qu’on le prenne au coin de son feu, lisant son livre et ne s’attendant à rien, et qu’on lui dise :
-       -   Il y a un homme qui va mourir et il faut que ce soit vous qui le consoliez. Il faut que vous soyez là quand on lui liera les mains, là quand on lui coupera les cheveux ; que vous montiez dans sa charrette avec votre crucifix pour lui cacher le bourreau, que vous soyez cahoté avec lui par le pavé jusqu’à la Grève, que vous traversiez avec lui l’horrible foule buveuse de sang ; que vous l’embrassiez au pied de l’échafaud, et que vous restiez avec lui jusqu’à ce que la tête soit ici et le corps là.

Alors qu’on me l’amène, tout palpitant, tout frissonnant de la tête aux pieds ; qu’on me jette entre ses bras, à ses genoux ; et il pleurera et nous pleurerons, et il sera éloquent, et je serai consolé, et mon cœur se dégonflera dans le sien, et il prendra mon âme et je prendrai son Dieu.

Victor Hugo, Le dernier jour d’un Condamné


Ceux qui jugent et qui condamnent disent la peine de mort nécessaire. D’abord_ parce qu’il importe de retrancher de la communauté sociale un membre qui lui a déjà nui et qui pourrait lui nuire encore _ s’il ne s’agissait que de cela, la prison perpétuelle suffirait. A quoi bon la mort ? Vous objectez qu’on peut s’échapper d’une prison ? Faites mieux votre ronde. Si vous ne croyez pas à la solidité des barreaux de fer, comment osez-vous avoir des ménageries ?

Pas de bourreau où le geôlier suffit.

Mais reprend-on, _ il faut que la société se venge, que la société punisse. _ Ni l’un, ni l’autre. Se venger est de l’individu, punir est de Dieu.

La société est entre deux. Le châtiment est au-dessus d’elle, la vengeance en-dessous. Rien de si grand et de si petit ne lui sied. Elle ne doit pas « punir pour se venger » ; elle doit corriger pour améliorer.

Le dernier jour d’un Condamné, Préface de 1832

http://www.youtube.com/watch?v=1CumaK6iQng

11 septembre 2013

Si l’homme désire affirmer sa supériorité sur les autres êtres vivants, il doit œuvrer de toute sa puissance pour ne point connaitre la vie obscure et silencieuse des animaux que la nature a courbés vers le sol et asservis à leur ventre. Toute notre force réside dans l’âme et dans le corps, mais l’âme est maitresse et le corps, esclave : l’une de nous égale aux dieux, l’autre aux bêtes.

Cherchons donc la gloire dans la force de l’esprit, non dans celle du corps, et, puisque la vie dont nous jouissons est si brève, perpétuons notre nom dans l’histoire et la mémoire des hommes. La gloire qu’apportent la richesse et la beauté est frêle et éphémère, quand celle de la vertu se pare de l’immortalité.

Salluste, La Conjuration de Catilina

17 août 2013

Nous avons été un jour si proches l’un de l’autre dans la vie que rien ne semblait plus entraver notre amitié et notre fraternité, seul ‘l’intervalle d’une passerelle nous séparait encore. Et voici que tu étais sur le point de la franchir et quand je t’ai demandé : « Veux-tu me rejoindre par cette passerelle ? » _ mais déjà tu ne voulais plus, et à ma prière réitérée tu ne répondis rien. Et depuis lors, des montagnes et des torrents impétueux et tout ce qui sépare et rend étranger l’un à l’autre, se sont mis en travers, et quand même nous voudrions nous rejoindre, nous ne le pourrions plus ! Mais lorsque tu songes maintenant à cette petite passerelle, la parole te manque _ et tu n’es plus qu’étonnement et sanglots.


Nietzsche, le Gai Savoir

26 juillet 2013

Kaliayev
Mais nous aimons notre peuple.

Dora
Nous l’aimons, c’est vrai. Nous l’aimons d’un vaste amour sans appui, d’un amour malheureux. Nous vivons loin de lui, enfermés dans nos chambres, perdus dans nos pensées. Et le peuple, lui, nous aime-t-il ? Sait-il que nous l’aimons ? Le peuple se tait. Quel silence, quel silence…

Kaliayev
Mais c’est cela l’amour, tout donner, tout sacrifier sans espoir de retour.

Dora
Peut-être. C’est l’amour absolu, la joie pure et solitaire, c’est celui qui me brûle en effet. A certaines heures, pourtant, je me demande si l’amour n’est pas autre chose, s’il peut cesser d’être un monologue, et s’il n’y a pas une réponse, quelquefois. J’imagine cela, vois-tu : le soleil brille, les têtes se courbent doucement, le cœur quitte sa fierté, les bras s’ouvrent. Ah ! Yanek, si l’on pouvait oublier, ne fût-ce qu’une heure l’atroce misère de ce monde et se laisser aller enfin. Une seule petite heure d’égoïsme, peux-tu penser à cela ?

Kaliayev
Oui, Dora, cela s’appelle la tendresse.



Albert Camus, Les Justes

20 juillet 2013

Le fleuve est encore gonflé, limoneux, strié de lumière. Je ne sais ce qui monte en moi à la vue de ce courant sombre et rapide, mais une grande joie me soulève et affirme ce profond désir qui est en moi de ne jamais quitter cette terre. Je me souviens d’être passé par l’à, l’autre jour, en allant à l’American Express, sachant qu’il n’y aurait pas de courrier pour moi, pas de chèque, pas de câble, rien, rien. Un fourgon des Galeries Lafayette passait en grondant sur le pont. La pluie s’était arrêtée et le soleil, crevant à travers les nuages floconneux, teintait les moelleux luisants des toits d’un feu glacé. Je me rappelle maintenant comme le chauffeur se pencha au dehors pour regarder vers le fleuve, du côté de Passy. Un regard si sain, si simple, un regard approbateur, comme s’il se disait à lui-même : « Ah ! le printemps arrive ! » Et Dieu sait, quand le printemps arrive à paris, le plus humble mortel a vraiment l’impression qu’il habite au Paradis ! Mais ça n’était pas seulement cela – non, c’était l’intimité avec laquelle son œil se posait sur la scène. C’était son Paris à lui ! Un homme n’a pas besoin d’être riche, ni même citoyen français, pour recevoir cette impression de Paris. Paris est plein de pauvres gens _ le plus fier et le plus crasseux ramassis de mendiants qui aient jamais foulé la terre, me semble-t-il. Et ils donnent pourtant l’impression d’être comme chez eux. C’est ce qui distingue le Parisien de tous les autres habitants de capitales.

Henri Miller, Tropique du Cancer

30 juin 2013

“You have learned love’s lesson well. For if any do see her walk the world, love is a hag, worse than plague and famine, or even Death with his ghostly show. Love in her robe of rags with her heart torn out and sewn on her breast, love with her eyes wept out and only the blind sockets staring. Love is a bitch, but she suffers, and so she knows best how to make all things suffer with her sickness1.”
(…)
“Love is love. She cannot be seen because she is everything. We fight her. We turn her away. But we can no more do it than throw off our own life. In the end, love remains. In the end, love will inherit the world2.”
(…)
“Are not all loves secretly the same? A hundred flowers sprung from a single root. The body’s love will teach the spirit how to love. The spasm of the body’s carnal pleasure, forgetting all things but ecstasy itself, teaches the body to remember the ecstasy of the soul, forgetting all but itself, the moments of oneness, and freedom. The love a man feels only for one other in the world will teach him, at length, love of all others, of all the world. A cry of joy, whatever its cause, is the one true memory of those wonders the flesh has banished. A cry of love is always a cry of love3.”

Tanith Lee, Delirium's Mistress

Pour ceux qui préfèrent le français, ça veut dire à peu près ça. Comme j'ai fait les traductions moi-même, j'ai choisi de laisser à l'amour son genre féminin, correct en anglais, inhabituel en français, sauf au pluriel, ce qui me convient bien.

1Tu as bien appris la leçon de l’amour. Car pour quiconque la voit arpenter le monde, l’amour est une clocharde, pire qu’une épidémie ou une famine, ou même la Mort et son spectacle fantomatique. L’amour dans son costume de haillons avec son cœur arraché et cousu sur la poitrine, l’amour avec ses yeux éplorés et ses paupières aveugles et fixes. L’amour est une catin, mais elle souffre, et elle sait ainsi comment faire souffrir toute chose de sa nausée.

2L’amour est l’amour. On ne peut pas la voir car elle est toute chose. Nous la combattons. Nous la repoussons. Mais nous ne pouvons pas plus faire cela que nous pouvons nous débarrasser de  notre propre vie. A la fin, l’amour perdure. A la fin, l’amour héritera du monde.

3Tous les amours ne sont-ils pas secrètement le même ? Une centaine de fleurs jaillies d’une même racine. L’amour physique va apprendre à l’esprit comment aimer. Le spasme de plaisir charnel, oubliant tout sauf l’extase, apprend au corps à se rappeler du ravissement de l’âme, oubliant tout sauf soi-même, les moments d’unité, et la liberté. L’amour qu’un homme éprouve pour une seule personne au monde lui apprendra, à force, l’amour de tous les autres, de tout le monde. Un cri de joie, d’où qu’il vienne, est le vrai souvenir des merveilles que la chair a bannies. Un cri d’amour est toujours un cri d’amour.


Ma douce, comme j’ai aimé, j’aime et j’aimerai encore





17 avril 2013

Et la mer, encore, à son réveil, qui est apaisement, à cette heure-ci, sensible jusque sur la plus lointaine, la plus pauvre place de cette ville : le macadam luisant comme le pont d’un paquebot lavé à l’aurore et que sèche le même vent rapide et désordonné. Il faudra que je les mène aux environs de la ville, aux bords du Lez, à ce coin de verdures et d’eau tranquille. Ce qu’il y a de ce tableau champêtre bien composé, de Poussin surtout, dans ces paysages de petits fleuves au voisinage de la Méditerranée. Et que je leur montre de plus près ces jardins de la banlieue blanche. Oi khpoi. Tout à fait ça : derrière les murs blancs, que longe une rue profondément tapissée de poussière, il y a le joli khpos frais, plein de verdure, de fleurs et d’eaux vives ; El les bois sacrés sur les collines, la campagne civilisée, arrangée par les architectes pour servir de fond aux rues, aux avenues et aux terrasses de la ville. Entre les panaches des pins maritimes, la ville toute raide et archaïque regarde la garrigue tachetée de touffes de buis et de romarin, et plus bas les oliviers et les cyprès, et plus loin Latte, et les lagunes, et Maguelone et le long, mince reflet de fer-blanc au bord du ciel. La campagne autour de Mégare. Il faut que ces deux enfants de la grâce connaissent mieux cette gracieuse cité. Elles n’ont pas encore vu l’arc de triomphe au seuil de la grande terrasse qui est une solitude d’eaux prisonnière et de pierres dévorées par des siècles de lumière, et le petit temple derrière lequel l’aqueduc commence sa marche ininterrompue, une jambe pour chaque pas, jusqu’aux collines qui bornent l’horizon.

Valéry Larbaud, Amants, heureux amants…

11 avril 2013

Pouvoir

(…)

« Injuriez un pandore, volez une pomme ou traversez la vie en dehors des passages protégés définis par la loi et vous risquez la prison. Mais, vous, sous votre toit, vous ne risquez nulle répression. Abrutissez votre gosse à coups d’idées reçues, détruisez-le à vie en le persuadant que la masturbation rend sourd ou que les juifs sont des voleurs, faites-en un futur con tranquille en lui enseignant que les femmes sont des hommes inférieurs, inoculez-lui sans répit votre petite haine rabougrie pour la musique arabe, la cuisine chinoise ou la mode sénégalaise, dégoûtez-le à vie de Brahms ou du rock new-wave, crétinisez-le sans retour en le forçant à faire des maths s’il veut être musicien, parce vous auriez voulu être ingénieur.

N’ayons pas peur des mots : c’est contraire à l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme. »

Pierre Desproges, Fonds de tiroir